La Passion selon Jean, A. Tarantino. Théâtre Vidy Lausanne, 2008.
Mise en scène Jean-Yves Ruf Scénographie et Costumes Laure Pichat Lumières Christian Dubet Son Jean-Damien Ratel
La pièce. La passion selon Jean se situe en Italie, dans les années 70, au moment où les asiles de fous se transforment en hôpitaux psychiatriques. On assiste tout simplement à la journée d’un patient, Moi-Lui, et d’un infirmier, Jean, dans la salle d’attente de l’INPS (la Caisse des pensions et des retraites). Comme beaucoup de schizophrènes, qui ont besoin de s’identifier à une grande figure historique ou religieuse pour tenter de rassembler une identité éclatée, Moi-Lui se prend pour Lui, c’est-à-dire le Christ. Moi-Lui vit deux dimensions à la fois, l’une horizontale, celle de l’hôpital, de son camarade, Pierre, des infirmiers et des médecins. L’autre verticale, celle de la Passion du Christ, du procès devant Pilate, du calvaire et de la mise en croix. Il ne cesse de mêler les deux, de les tisser ensemble, de les confondre. Moi-Lui attend à côté de Jean sur un banc de l’INPS, mais il est en même temps au bar chez l’Angel, devant le docteur, devant le prieur, sur l’autoroute Milan-Turin, il est là et ailleurs, il confond allégrement hier, aujourd’hui et demain, il est le malade soigné au Xanax qui attend ses papiers à l’INPS, il est le Christ qu’on va mettre en croix. » J-Y Ruf.
La scénographie : un espace unique et sensoriel. L’espace est une salle d’attente. Cet espace est un long corridor dans lequel sont contraints d’attendre Moi-Lui et Jean. Un passage donne accès à un bureau et à un ascenseur puis dans le lointain à un autre couloir dont le mur est percé de hautes fenêtres. L’espace très frontal de cette salle d’attente nous expose dans leur plus grande fragilité les personnages. Ils sont comme épinglés au mur face aux spectateurs. Ils attendent, assis sur des banquettes, dans ce couloir qui semble être une impasse, et ils sillonnent l’espace dans de long déplacement linéaire et répétitif, ils sont seuls, il se dégage une sensation de vide, d’isolement et d’abandon. Cet espace unique de la salle d’attente donne toute sa dimension à la folie de Moi-Lui. En prenant le parti pris de ne pas représenter la folie par l’espace, on rend au personnage toute sa folie et sa dimension mystique. La folie s’exprime, se ressent, elle est alors immense car elle n’a pas de limite dans la représentation, elle travaille avec l’imaginaire de chacun. L’espace concret de la salle d’attente est réinterprété par Moi-Lui selon ses angoisses et obsessions. Il fantasme l’espace et le fait basculer vers un espace mystique. La lumière et le son accompagnent les sensations intérieures de Moi-Lui en créant des sensations de vertiges par des jeux de lumière et d’acouphènes. L’espace vrille, semble s’étirer, se comprimer, il y a une distorsion du temps et de l’espace. Les bancs deviennent les banquettes de confrérie d’églises, les murs prennent la dimension de ceux d’une cathédrale et les fenêtres qui donnent sur la cour deviennent celles qui bordent la nef d’un espace liturgique et le dessin de leurs menuiseries renvoie au symbole de la croix du Christ.